Le recommandé électronique fait foi

Quelques outils informatiques permettent de remplacer le pli recommandé postal dans certaines procédures. Les entreprises y gagnent en simplicité.

Chaque année, 218 millions de plis sont envoyés en recommandé, dont 84 % par des entreprises et des administrations. Pour La Poste, ce service génère un chiffre d'affaires stable de 800 millions d'euros que l'essor de l'e-mail et des technologies de l'e-signature n'a pas encore entamé. De fait, s'il existe depuis plusieurs années une offre de recommandé électronique, aucune solution ne remplace totalement le recommandé postal - vieux de deux siècles en France - qui a l'avantage d'être une procédure de transmission certifiée et éprouvée, quels que soient le document transporté, son émetteur et son destinataire.

D'autant que les usages du recommandé sont multiples en entreprise : rappel de paiement ou mise en demeure (74 % des entreprises interrogées), envoi ou résiliation de contrats (34 %), transmission de documents liés aux ressources humaines et à l'emploi (32 %), correspondance financière et administrative (30 %), de notification et de confirmation (27 %), appels d'offres et correspondance commerciale (21 %) ou encore expédition de documents officiels, originaux, ou confidentiels (20 %).

Aujourd'hui, les solutions de courrier recommandé électronique restent éclectiques : espaces sécurisés d'échanges de documents orchestrés par des autorités de certification, enveloppes électroniques, solutions hybrides mail/courrier (documents transmis par e-mail à un fournisseur qui l'imprime et le transmet au facteur). Ces outils permettent généralement de ne remplacer qu'une partie des fonctions inhérentes au recommandé postal traditionnel (identification de l'émetteur, horodatage de l'envoi, accusé de réception, traçabilité...). Mais, fait étonnant, les entreprises qui ont choisi d'expérimenter ce type d'outil n'hésitent pas à le mettre en production sur leur coeur de métier : échanges contractuels avec des partenaires, gestion des marchés publics ou encore preuve d'antériorité des créations de l'entreprise.

Les besoins : optimiser un processus métier

La décision de déployer une solution de courrier recommandé électronique est toujours dictée par la nécessité d'optimiser un processus métier alourdi par l'obligation d'envoyer un recommandé postal ou, parfois, un fax (généralement reconnu juridiquement).

« Jusqu'à l'an dernier, lorsqu'un client nous commandait une plaquette commerciale, nous lui envoyons le BAT [bon à tirer, NDLR] par e-mail sous la forme d'un fichier PDF , explique Laurent Ollivier, directeur général de l'agence de communication Aressy. Notre client l'imprimait, le signait et nous le renvoyait par fax. Mais, rapidement, nos donneurs d'ordres se sont contentés de répondre au courrier en ajoutant un " ok " dans le texte. La manipulation n'était pas très responsabilisante et, de ce fait, de nombreuses erreurs n'étaient pas corrigées. Et, surtout, cette procédure ne nous protégeait pas juridiquement », ajoute Laurent Ollivier.

Souhaitant éviter des échanges de courriers physiques trop lourds, l'agence s'est adressée à CertEurope pour qu'il lui fournisse un espace virtuel sécurisé permettant d'assurer la confidentialité et la traçabilité des échanges électroniques, tout en garantissant la valeur probante des fichiers ainsi transmis.

Pour le studio de design Sylvain Joly, la démarche était similaire. Depuis près de vingt ans, le bureau d'études se faisait envoyer par courrier le descriptif de chacune de ses créations (meubles, appareils électroménagers...). L'objectif était de disposer d'une preuve sur l'origine et la date de conception du dessin en cas de litige sur un droit d'auteur, le cachet de La Poste faisant foi. Cependant, avec une trentaine de plis à envoyer chaque jour et vingt ans d'archives de recommandés - non décachetés - à stocker, la procédure montrait ses limites. « Notre assistante passait ses journées à faire des lettres recommandées et à les déposer à La Poste », explique Marie Joly, responsable informatique du studio de design. Celui-ci s'est finalement équipé de la solution d'enveloppe électronique Keyvelop. Au lieu de stocker du papier, le studio archive des fichiers informatiques générés automatiquement en quelques minutes puis horodatés et signés par l'autorité de confiance Certinomis.

Le conseil général de Vendée, comme toutes les collectivités locales françaises, s'est intéressé au sujet avec l'obligation légale depuis le début de l'année de pouvoir accepter des réponses électroniques à certains appels d'offres. Autrement dit, son défi était de mettre en place une plate-forme permettant à ses fournisseurs de lui envoyer un document électronique ayant la valeur probante d'une lettre recommandée. D'où le choix d'une solution Omnikles fournissant un espace électronique sécurisé, garantissant l'identification de l'émetteur, la confidentialité et la traçabilité des documents échangés.

Mais la solution de recommandé électronique peut aussi répondre à un besoin fonctionnel que la lettre recommandée ne peut remplir. C'est le cas, par exemple, de Finacaut, jeune entreprise qui propose aux notaires de sous-traiter pour eux la recherche d'actifs et de passifs financiers dans le cadre d'une succession. En général, les notaires s'acquittent de cette tâche en envoyant une demi-douzaine de courriers recommandés aux principales banques du pays. Finacaut se propose de contacter jusqu'à 300 banques pour chaque demande. Une performance impossible s'il devait recourir au recommandé postal traditionnel. « Chaque opération me reviendrait alors à près de 1500 euros au tarif postal actuel [hors temps passé à remplir les liasses, NDLR] , tandis que mon prestataire Posteasy me facture à peine plus de 100 euros, soit un dixième de ce tarif », explique Jean-Claude Barbier, le gérant de Finacaut.

La mise en oeuvre : une analyse fine de ses procédures

Les outils de recommandé électronique sont essentiellement proposés en mode FAH. Une spécificité qui s'explique, non par une facilité de gestion, mais par une nécessité : pour que le « cachet fasse foi », les documents doivent obligatoirement transiter par la plate-forme d'un prestataire de confiance qui se chargera de les horodater, de certifier leur contenu et, éventuellement, de les archiver. Ce n'est qu'après que ces documents pourront être envoyés au client (soit en direct, soit en les déposant sur une plate-forme où ils seront disponibles après une procédure d'authentification).

Mais, contrairement à beaucoup de services FAH, la mise en oeuvre d'un échange de confiance exige de l'entreprise une longue phase d'analyse et un travail parfois complexe d'intégration. Afin que le service colle parfaitement aux besoins de l'entreprise, la première étape consiste à décortiquer finement ses processus pour les expliquer clairement au fournisseur chargé de les répliquer sur sa plate-forme. « Pendant un mois, nous avons organisé des réunions pour que le service informatique comprenne bien l'organisation du service des marchés publics. Pour cela, nous nous sommes en partie appuyés sur des grilles d'évaluation de notre prestataire Omnikles. Cela nous a permis de mettre à plat notre fonctionnement et de faire en sorte qu'il soit parfaitement reproduit sur la plate-forme d'Omnikles. Mais il a fallu tout de même trois ou quatre mois de tests et de réglages pour que le service colle à notre organisation » , se souvient Françoise Seigneur, directrice de l'informatique au conseil général de Vendée.

La phase d'intégration demande souvent une expertise en interne. En particulier, parce qu'il faut concevoir un document électronique fonctionnellement identique à l'ancien document papier, avant son envoi au prestataire. « La mise en oeuvre a été simple, car nos équipes disposaient de bonnes compétences de développement. Nous avons ainsi pu totalement intégrer le processus de signature à notre extranet, avec nos couleurs. La signature est déclenchée par un simple bouton à cliquer, visible lorsque le client consulte les créations à valider » , détaille Laurent Ollivier, directeur général d'Aressy.

Chez Sylvain Joly Design, il a fallu également s'appuyer sur les compétences du responsable technique de l'agence pour adapter la solution de Keyvelop. « Keyvelop ne permettait pas d'automatiser la création des enveloppes sécurisées [contenant l'image des créations de l'agence, NDLR] . Nous avons donc dû développer une application Java qui nous permette d'automatiser la génération des enveloppes sécurisées, d'en vérifier l'intégrité et même d'ajouter un document PDF qui détaille le contenu de l'enveloppe », explique Camille Troillard, responsable technique de l'agence.

De son côté, Finacaut a dû créer une interface dédiée à la collecte des informations à transmettre à Posteasy, le prestataire de confiance qui se chargera alors de contacter les banques par fax et par e-mail (sans accusé de réception) et de séquestrer la totalité des éléments du routage en cas de contestation. « Nous avons créé un site d'administration à base de PHP et de MySQL, sur un serveur Linux. Les informations collectées sont formatées en XML et envoyées à Post-easy par une connexion FTP », détaille Grégory Meudec, responsable du projet chez Interaction-Multimédia, l'hébergeur de Finacaut.

L'utilisation : une clé USB et un certificat

Une fois correctement mises en oeuvre, ces solutions retrouvent la simplicité des applications FAH. Seul changement : la saisie des informations pour constituer le document est réalisée désormais à l'écran. Sa signature, qui permettra en outre de s'assurer qu'il n'a pas été modifié après son envoi, implique l'utilisation d'un certificat généralement stocké sur un support physique (une clé USB le plus souvent, afin de s'affranchir des lecteurs dédiés). Ce certificat est acheté par l'entreprise et il identifie le collaborateur habilité à signer. Ce dernier s'authentifie en insérant sa clé USB et en entrant un code PIN. Une fois le document signé, il est transmis pour horodatage.

Juridiquement, si toute la chaîne a été réalisée dans les règles de l'art (d'où l'horodatage par un tiers réputé impartial, dont c'est l'activité principale), le cachet électronique devrait, en toute logique, être valable devant un tribunal. D'autant - et c'est une spécificité de la majorité des solutions de recommandé électronique - que ce type de solution ne peut être utilisé que par des parties consentantes qui se sont déjà engagées contractuellement à reconnaître sa valeur de preuve. Ce qui limite son emploi à des relations interentreprises.

Les gains : simplicité, temps et argent

Plus d'attente au bureau de poste, possibilité d'envois multiples, meilleure réactivité..., les avantages du recommandé électronique sont nombreux, à commencer par son faible coût. « Ce système me revient au même prix qu'un recommandé postal, avec, en prime, un archivage supplémentaire des documents à la Caisse des dépôts », affirme Marie Joly. L'économie de temps est également appréciable. « La personne qui s'occupait de recommandés toute la journée peut ainsi faire des choses plus intéressantes. On a gagné un demi-poste d'assistante, ce qui nous a permis d'absorber notre croissance » , poursuit Marie Joly.

Pour Aressy, le gain est également clair en temps et en fiabilité : les clients valident les créations en un clic, et il n'y a plus de fax ou d'e-mail à attendre, sans aucune garantie juridique. L'agence envisage d'ailleurs d'étendre l'utilisation de son outil de recommandé électronique à ses propres créations afin de disposer, elle aussi, d'une preuve d'antériorité. « Ce sera plus pratique et moins cher que le dépôt mensuel auprès d'un huissier, comme nous le faisons actuellement », justifie Laurent Ollivier.

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A - Finies les manipulations manuelles

La création d'un recommandé est totalement intégrée au SI de l'entreprise. Puisqu'il existe généralement déjà au format électronique, son contenu peut être extrait et mis en forme automatiquement au lieu de devoir passer par une impression papier coûteuse. La saisie des données de routage (expéditeur, destinataire...) est, elle aussi, réalisée depuis le poste de travail et peut être automatisée.

B - Une plus grande fiabilité

Un document électronique signé et horodaté garantit son origine et l'intégrité de son contenu. À l'exception des enveloppes Soleau, proposées par l'Inpi dans le cadre de la protection d'une invention et qui permettent d'imprimer le texte à même l'enveloppe, le recommandé papier ne fait que garantir le contenant. L'e-signature permet de certifier le contenu, quels que soient le type et la taille d'un document.

C - Un procédé peu répandu

Le recommandé postal peut être envoyé par n'importe qui à n'importe qui, et il conservera sa valeur juridique. Du côté de l'électronique, pour assurer un niveau de confiance identique, l'émetteur et le récepteur doivent disposer de certificats numériques et d'une architecture commune afin de signer et de s'authentifier mutuellement. Peu d'entreprises peuvent obliger leurs correspondants à se doter de tels équipements.

D - Une dépendance accrue au réseau

Le système dépend entièrement d'une connexion Internet fonctionnelle : il faut pouvoir transmettre les fichiers afin de les horodater sur la plate-forme du prestataire de confiance et, au moment de la signature, il est nécessaire de se connecter à Internet pour en contrôler la validité. Une panne d'Internet, et le système est paralysé.